La réception critique de la céramique de Marc Chagall dans les années 1950

22/09/2024 - 

Sofiya Glukhova

Dès son apparition, la production céramique de Marc Chagall a pu bénéficier d’une visibilité et d’un discours critique florissant, notamment grâce aux expositions de groupe et monographiques. Il est possible d’observer deux grandes vagues d’intérêt de la critique émergeant souvent de façon concomitante aux expositions. La première vague se situe entre 1950 et 1970, dont trois expositions en 19521. La deuxième vague concerne la période allant de 1995 à nos jours, qui s’ouvre avec une exposition de groupe exclusivement dédiée à la céramique d’artiste, organisée en 1995, au musée de Céramique de Vallauris2. Entre 1970 et 1995, durant vingt-cinq ans, les fragiles pièces de Chagall restent immobiles, les quelques pièces abîmées lors de leurs transports ayant probablement incliné l’artiste et sa femme Valentina Brodsky à se garder de les prêter davantage3. Cet article s’attachera à relever quelques grandes lignes du discours critique des années 1950 qui accompagne l’émergence et l’évolution de l’œuvre céramique de Marc Chagall, à travers notamment des articles de presse, des revues spécialisées, des catalogues d’exposition et des entretiens radiophoniques. 

En mars-avril 1950, la première présentation au public des céramiques nouvellement créées par Marc Chagall est aussi la première exposition de l’artiste à la galerie Maeght4, prélude à plusieurs années de collaboration. Treize céramiques5 sont alors exposées aux côtés des trente-sept peintures, des lavis rehaussés, des trois gouaches pour Les Mille et Une Nuits, ainsi que des eaux-fortes originales pour Les Âmes mortes de Gogol. Les articles aux tonalités lyriques, publiés en regard des poèmes des années 1910 de Guillaume Apollinaire et de Blaise Cendrars dédiés à Chagall, dans le numéro 27-28 de la revue Derrière le miroir6, n’évoquent pas les céramiques. En revanche, quelques semaines après cette exposition, un entretien unique sera diffusé à la radio française7, dans l’émission du 25 juillet 1950 consacrée à la céramique d’artiste. Dans cette édition, Chagall est entouré des célèbres céramistes Émile Decœur et Josep Llorens i Artigas, tous deux ayant vu les premières céramiques de l’artiste à la galerie Maeght. Saluant l’entrée des peintres dans leur domaine, les maîtres de la céramique mettent en avant l’enrichissement mutuel résultant des étroites collaborations entre les artistes et les céramistes. Les techniciens encouragent les artistes à ne pas se limiter à des décors superficiels, et à ne pas se cantonner à être exclusivement « peintres sur la céramique », et les incitent à approfondir leurs propres recherches plastiques grâce à une meilleure maîtrise technique. Les peintres, eux, apportent un souffle nouveau à cette discipline dont les formes et les décors ont tendance à se répéter, à devenir démodés, voire, selon Artigas, à tomber en désuétude. Parmi les artistes qui se consacrent à la céramique, Émile Decœur voit en Chagall un de ceux qui s’ingénient à mieux « comprendre la matière », et met alors en avant sa sensibilité.

Devant son four Marc Chagall examine attentivement les pièces qu'il a conçues et décorées », photographie illustrant l'article de Bernard Champigneulle, « Des fastes byzantins de Ravenne aux mosaïques d'Audincourt », dans France Illustration, Paris, 1er décembre 1951, p. 52-58, source gallica.bnf.fr © BNF.
Marc CHAGALL, Le Songe de Jacob, 1951, terre ocre rose, décor aux engobes et aux oxydes, éléments modelés collés à la barbotine, gravé au couteau et à la pointe sèche, sous couverte, 43 x 33,2 x 3 cm, Collection particulière © Fabrice GOUSSET, Fabrice Gousset/ADAGP, Paris, 2024

En décembre 1951, moyennant une certaine liberté éditoriale, un reportage photographique sur le travail céramique de Marc Chagall est inclus dans un article publié dans France Illustration, intitulé « Des fastes byzantins de Ravenne aux mosaïques d’Audincourt8 ». À côté des mosaïques de Ravenne dialoguant avec celles de Jean Bazaine pour l’église du Sacré-Cœur d’Audincourt, on trouve plusieurs pages avec des illustrations couleur des quatre céramiques de Marc Chagall9, accompagnées de cinq photographies représentant l’artiste travaillant sur les céramiques ou bien livré à ses activités quotidiennes près de sa maison, à Vence. En effet, l’auteur de l’article, Bernard Champigneulle, parvient à inscrire, non sans ingéniosité, la céramique de Marc Chagall dans une réflexion plus vaste sur le renouveau de l’art monumental au milieu du XXe siècle et sur le rapport entre l’artisanat et l’industrialisation accélérée de l’après-guerre :

La céramique fut la première de ces vieilles disciplines artisanales qui ont retrouvé l’intégrité d’autrefois. Des artistes comme Lenoble et Decœur ont pratiqué les arts de la terre et du feu avec une maîtrise qui rapproche leurs ouvrages des plus beaux exemples des anciennes céramiques chinoises. […] Nous avons vu ensuite des artistes inspirés, curieux de renouvellements, comme Chagall et Picasso, s’appliquer à créer des formes et des décors où leur personnalité se manifeste avec non moins d’intérêt que dans leurs tableaux10.

La céramique est ainsi liée à l’art mural, non seulement d’un point de vue technique, lorsqu’il s’agit des tesselles en faïence par exemple, mais aussi en tant que « première discipline artisanale » ayant, d’une certaine manière, ouvert la voie à des créations monumentales. Le renouveau de la céramique et de l’art mural contemporain s’inscrit ici dans une double problématique : celle de la remise en question de la peinture de chevalet11 et celle de la critique de l’industrialisation. 

 

Page issue de l'article de Waldemar-George, « Chagall et la terre retrouvée », Art et Industrie, n° XXIII, 1951-1952, p. 32-33, source gallica.bnf.fr © BNF.
Marc CHAGALL, La Maison, 1952, terre rose, décor aux engobes et aux oxydes, gravé au couteau et à la pointe sèche, sous couverte, 27 x 24 x 19 cm, Collection particulière © Fabrice GOUSSET/ADAGP, Paris, 2024

Dans une lettre du 21 février 1952, Waldemar-George adresse à Marc Chagall le dernier numéro de la revue Art et Industrie contenant son article d’une page sur les céramiques du peintre, accompagné de quelques illustrations12 et intitulé « Chagall et la terre retrouvée ». Après avoir retracé les déplacements successifs de l’artiste au cours de sa vie, le critique d’art annonce son installation dans le sud de la France, à Vence, où la céramique de Chagall voit le jour :

Ces céramiques ne sont ni des récréations ni des divertissements. Leur auteur y voit une communion étroite avec la terre française qu’il pétrit de ses mains. On y retrouve la marque de son génie de poète-artisan, ses personnages ailés, ses amants qui s’enlacent sur une couche de nuages, ses fleurs animées et son Orient de mille et une nuits. Verlaine tordait le cou à l’éloquence. Chagall piétine la prose. Les anses de ses vases forment les bras de ses fiancés (sic) astrales. Ses coupes et ses plats aux couleurs chatoyantes liées à la matière ont l’éclat et les irisations des poteries mozarabes14.

Waldemar-George énumère les thèmes récurrents que l’on retrouve dans les céramiques de Chagall afin de souligner la vocation poétique de son œuvre. Selon le critique, celle-ci est marquée par une forme de rupture qui le pousse à comparer l’artiste avec Verlaine (« Verlaine tordait le cou à l’éloquence. Chagall piétine la prose »). Mais c’est surtout autour du motif de la terre au sens large que Waldemar-George déploie sa réflexion, avec cette idée de déracinement et de nouvel enracinement dans le sud de la France (« la terre française qu’il pétrit de ses mains »). Le thème de déracinement, suggéré par l’artiste lui-même, est devenu structurant de son parcours et de la lecture de son œuvre. Il est présenté comme un artiste venant « d’ailleurs16 » mais défini « esprit universel ». La double « rupture », géographique et poétique, semble ici contribuer à un narratif se rapportant davantage à l’image d’un artiste romantique, même si le travail sur la matière est mis en valeur.

Céramiques des grands maîtres contemporains, 26 juillet 1952 - 14 septembre 1952, Grand hall du Nérolium, Vallauris © Archives Marc et Ida Chagall, Paris

En 1952, la céramique de Chagall figure dans la 5e édition des expositions dédiées à la production céramique locale « Céramiques des grands maîtres contemporains », exposition annuelle des potiers de Vallauris17, au grand hall du Nérolium, à Vallauris. La presse témoigne alors d’un véritable engouement autour du renouvellement de l’art céramique et du « phénomène » Vallauris. Le nom de Chagall y apparaît souvent aux côtés de Picasso et d’autres grandes figures artistiques, comme dans cet article publié dans Lettres françaises, revue dirigée par Jean Paulhan et Louis Aragon : « Outre l’apport de 53 potiers de la localité, des peintres et des poètes exposent quelques-unes de leurs œuvres. Ce sont : Arp, Chagall, Cocteau, Dufy, Françoise Gilot, Masson, Pignon, Marquet, Renoir, Éluard, Matisse, Léger, Miro, Prinner18. » L’auteur souligne le rôle des collaborations et des regards croisés entre les artistes et les céramistes : « La confrontation des maîtres et des potiers locaux est riche en ce sens qu’elle libère les seconds de certaines entraves artisanales, leur apportant de généreuses perspectives19. » L’article fait par ailleurs la part belle au dessin de la Chèvre d’Or de Picasso sur l’affiche de l’exposition, en référence à la légende provençale de la Cabro d’Or, gardienne des trésors. En écho à ce conte du haut Moyen  ge, l’auteur prône un dialogue avec des arts des époques reculées : « Il semble que les potiers comprennent de plus en plus la nécessité de se dépouiller d’un clinquant et de revenir même jusqu’aux recherches du potier médiéval qui savait traduire “dans la glaise l’esprit des fabliaux”20. »

La même année, l’écrivain et critique d’art André Warnod, ayant par ailleurs forgé la dénomination « École de Paris », consacre un article aux « Poteries de Vallauris21 » dans la rubrique « Arts » du Figaro. Chagall y est cité aux côtés de Matisse et Picasso, comme exerçant à Vence, ce qui témoigne des déplacements de l’artiste entre différents ateliers céramiques :

Voici un bel exemple de l’action que peuvent avoir les artistes sur une industrie locale, un travail artisanal. Vallauris a toujours été le pays des potiers parce que la terre qu’on y trouve est particulièrement favorable à cette industrie, mais l’activité de ces fabrications était lente et incertaine. De grands artistes ont été tentés par ce mode d’expression, Matisse et Chagall à Vence, Picasso à Vallauris. Il n’en fallait pas plus pour mettre la poterie à la mode22.

L’auteur souligne l’influence bénéfique des artistes sur la poterie artisanale et par conséquent sur l’économie locale, stimulée par le développement du tourisme de l’après-guerre. Warnod relève le renouvellement des formes et des approches qu’il caractérise comme « une véritable renaissance à laquelle nous assistons à Vallauris ». 

Un peu plus tôt en 1952, les céramiques de Chagall figurent dans deux expositions monographiques, à Paris d’abord, à la galerie Maeght23, et à New York ensuite, à la galerie Curt Valentin24. Le peintre dévoile alors le versant moins connu de son travail récent : les eaux-fortes pour Les Fables de La Fontaine éditées par Tériade, ainsi que ses premières sculptures et céramiques. C’est de nouveau la subtilité du travail sur la matière qui fascine les critiques. En témoigne cet extrait dans L’Intransigeant : « Chagall céramiste est également présenté ici. Usant des heureuses surprises du feu, l’artiste a obtenu des effets de matière le plus souvent somptueux. Ses recherches sont absolument différentes de celles d’un autre peintre devenu depuis peu de temps céramiste : Picasso25. » Caractéristique d’un grand nombre des critiques, le « voisinage » incontournable de Chagall avec Picasso met ici en évidence la distance qui sépare leurs recherches respectives.

Chagall sourit en posant sa main sur la tête de Clayeux assis par terre, à côté de Maeght, qui boit.
Marc Chagall, Louis-Gabriel Clayeux et Aimé Maeght devant la céramique murale L’Horloge (1950-1952), Galerie Maeght, Paris, 1952. © DR, Archives Marc et Ida Chagall, Paris.

Dans ce paysage critique protéiforme où les idées se croisent et se répondent, les textes de la revue Derrière le miroir, évoquée précédemment, occupent une place à part. Conçu et édité par la galerie Maeght en lien étroit avec sa programmation, chaque numéro constitue un catalogue d’exposition de la galerie, tout en étant un lieu de « confrontation du verbe et du signe plastique26 ». Revue de prestige, elle invite les auteurs et les penseurs contemporains à écrire sur les artistes établis et émergents, soutenus par la galerie. Ce sont donc le philosophe Gaston Bachelard et l’écrivain Charles Estienne qui écriront leurs textes sur Marc Chagall à l’occasion de l’exposition monographique de l’artiste à la galerie Maeght, intitulée « Marc Chagall, Céramiques, sculptures et Les Fables de La Fontaine27 ».
Dans son premier article consacré à Chagall, intitulé « La lumière des origines », Bachelard analyse l’œuvre de l’artiste sous le prisme de son approche philosophique de l’imagination appliquée à la création littéraire et plastique. Son passage émerveillé sur la céramique des peintres modernes est devenu incontournable :

Quelle merveilleuse époque que la nôtre où les plus grands peintres aiment à devenir céramistes et potiers. Les voilà donc qui font cuire les couleurs. Avec du feu ils font de la lumière. Ils apprennent la chimie avec leurs yeux ; la matière, ils veulent qu’elle réagisse pour le plaisir de voir. Ils devinent l’émail quand la matière est encore molle, quand elle est encore un peu terne, à peine luisante28.

Avançant une approche sensible, voire sensuelle de la céramique, le philosophe examine avec finesse l’ouverture de la « science » de l’art du feu à une nouvelle dimension offerte par un regard visionnaire des artistes. Chagall-céramiste, dont la pratique ne date que de deux ans, est d’emblée défini en tant que maître de la discipline : « Marc Chagall est tout de suite un maître de cette peinture satanique qui dépasse la surface et s’inscrit dans une chimie de la profondeur. Et dans la pierre, dans la terre, dans la pâte, il sait garder vivant son vigoureux animalisme29. » En évoquant les différents thèmes de l’iconographie chagallienne, son bestiaire, ses fables, ses êtres hybrides et ses personnages bibliques, Bachelard révèle une certaine essence commune, une « philosophie » qui traverse toute son œuvre, indépendamment du médium choisi, qui est « cette communauté du vivant, cette éternité de la vie ». Il relève la vision mentale de Chagall ainsi que sa capacité de rendre « vivante » la matière inerte : « Marc Chagall a dans l’œil tant d’images que pour lui le passé garde les pleines couleurs, garde la lumière des origines. Encore une fois, tout ce qu’il lit, il le voit. Tout ce qu’il médite, il le dessine, il le grave, il l’inscrit dans la matière, il le rend éclatant de couleur et de vérité30. » Selon le philosophe, c’est l’idée de l’incarnation et de l’animation de la « matière inerte » qui caractérise sa création céramique, marquée par une forme d’intemporalité. 
En écho à cette idée d’une œuvre « hors du temps », dans le même numéro de Derrière le miroir, Charles Estienne opère une comparaison entre la céramique et la peinture, en s’attardant notamment sur les céramiques murales de Chagall qui évoquent pour lui des grottes préhistoriques :

Et de même qu’à Lascaux la réalité plastique d’un merveilleux bestiaire a gardé intactes fraîcheur et présence sous le miracle naturel d’une cristallisation qui a joué comme le meilleur et le plus transparent des vernis, de même ici les grandes céramiques de Chagall, paradoxales mais authentiques peintures, à ce détail près que l’épreuve du feu les a dotées d’une cuirasse d’émail, ces peintures-céramiques donnent à voir et à toucher une fraîcheur que l’on sait désormais préservée de cette fragilité dont la menace permanente plane sur toute fresque ou toute œuvre de chevalet31.

Pour le critique, les céramiques murales sont des sortes de peintures « élargies » dans leur forme et leur écriture, dont les couleurs sont protégées par une pellicule vitrifiée. À l’instar de Bachelard, qui évoque « la lumière des origines », Estienne soulève le caractère « intemporel » de l’œuvre de Chagall à travers cette comparaison avec l’art préhistorique qui s’introduit dans l’art moderne et sa critique32.

En 1953, vingt-huit pièces céramiques de Chagall voyagent en Italie, à Turin, dans le cadre d’une grande exposition monographique33. Deux ans plus tard, en 1955, son grand plat L'Arche de Noé (1951) est exposé au « Premier festival international de la céramique » à Cannes34. Cette manifestation, organisée par l’Académie internationale de la céramique, fondée en 1952 par Henry J. Reynaud, réunira les céramiques françaises et étrangères, avec des participants venant de quarante-deux pays. Événement à forte connotation diplomatique, ce festival marquera à l’échelle mondiale « la renaissance du plus incertain, du plus aventureux de tous les arts35 » qu’est la céramique.

Le discours critique des années 1950 défriche le phénomène de la céramique d’artiste de l’après-guerre et tente de saisir la spécificité de la production chagallienne. Puisant dans des codes et des schémas existants, la critique tente d’épouser de nouvelles formes et jette les fondements pour les décennies à venir. Lorsque ce discours va au-delà des éléments biographiques ou d’une simple énumération des motifs iconographiques de l’artiste, plusieurs thèmes émergent. Frôlant parfois une interprétation romantique, la critique met en lumière la valeur poétique de son œuvre, à laquelle la céramique offre une chair et une profondeur particulière. L’image de « poète-artisan » est également récurrente. Féru du travail manuel aux côtés des artisans, Chagall glisse aisément dans le rôle d’apprenti auprès des techniciens expérimentés, dont il recherche constamment la présence. Mais c’est surtout la sensibilité de Chagall vis-à-vis de la matière qui est mise en avant aussi bien par les céramistes de renom comme Émile Decœur que par les écrivains et les philosophes comme Gaston Bachelard. En 1953, Chagall lui-même livre un rare discours décrivant son rapport à la céramique :

Ces quelques pièces de céramique, quelques échantillons, sont comme un « avant-goût » : résultat de ma vie dans le Midi, où l’on sent si fort la signification de ce vieux métier. La terre même sur laquelle je marche est si lumineuse. […] Par ce temps menaçant de bombes et de pulvérisations, on a particulièrement envie de s’attacher à cette terre et de se confondre avec elle. Les racines de ma première patrie s’étendent et se lient aux racines de ma seconde patrie qui m’aide à respirer en souriant. L’art n’est-il pas comme le visage de mon fils de quatre ans qui attend de moi un sourire ? Que je parle de céramique, de gravure ou de peinture, toutes mes paroles tournent autour de la matière qui, par elle-même, est abstraction, à condition qu’elle se tienne à une certaine hauteur. Même si cette matière est trempée d’une sensibilité excessive, ne vaut-il pas mieux s’y attarder plutôt que de se perdre dans un monde où règne un automatisme ou une orgueilleuse insensibilité36 ?

Bien plus qu’une pratique artisanale décorative, la céramique semble revêtir le rôle d’un réceptacle de la « sensibilité excessive » de l’artiste, capable de réparer quelque chose, et d’offrir de nouvelles dimensions et de nouveaux éclats à sa vision intérieure.