Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Marc Chagall, de retour d’exil aux États-Unis, s’installe à Orgeval puis dans le midi de la France, qui devient synonyme de renouveau artistique pour l’artiste. Il s’essaie avec talent à la céramique tout comme Pablo Picasso, Joan Miró ou Henri Matisse. Tériade et Chagall reprennent le projet d’édition de la Bible, illustrée d’eaux-fortes, initié par Ambroise Vollard. L’artiste se saisit une nouvelle fois, à travers ce nouveau médium, de sujets bibliques et crée, au début des années 1950, une série de plats ainsi que des plaques, à l’instar de cette Tête du Christ (1951) réalisée à Vence.
Marc Chagall voit en la figure de Jésus – souvent représentée dans son œuvre, par exemple à travers Crucifixion blanche (1938) – « une expression de l’humain, de la tristesse et de la douleur juives » et ajoute : « J’aurais peut-être pu peindre un autre prophète, mais après deux mille ans, l’Humanité s’est “attachée” à la figure de Jésus. Pour moi, en tant que juif, c’est plus facile […] d’exprimer ainsi au monde la vérité artistique de notre souffrance et de notre état d’esprit1. » C’est donc une vision humaniste qui nous est offerte à travers cette œuvre. Le Christ, ici représenté portant un tephillin et un talit, symbolise le martyr juif – des pogroms et de la Shoah, ici dans un contexte d’après-guerre – comme l’affirme Chagall : « Pour moi, le Christ a toujours symbolisé le type même du martyr juif2. »
La rugosité de la terre chamottée, contrastant avec l’aspect velouté et brillant de l’émail appliqué au pinceau, confère un relief sculptural à la pièce. Le cadrage habilement resserré de l’œuvre, conçue comme un portrait, concentre l’attention sur le visage du Christ rehaussé de blanc – volontairement allongé et ridé – et son expression de souffrance et de douleur, rappelant ainsi les représentations de l’imago pietatis ou « homme de douleurs » et de l’ecce homo circulant au Moyen Âge et prenant source – pour la première – en une icône byzantine3. Les liens entre certaines œuvres de Chagall et l’art de l’icône sont d’ailleurs indéniables4. Ici, le format de la céramique, la couleur jaune, la grande expressivité des yeux et la tête légèrement penchée de la figure font alors penser à la fameuse icône L’Ange aux cheveux d’or attribuée à l’école de Novgorod.
Marc Chagall s’inscrit dans un renouveau de l’art sacré en France, initié par le chanoine Jean Devémy qui confie le projet de décor de l’église du plateau d’Assy à de nombreux artistes parmi lesquels figurent Germaine Richier, Georges Rouault et plus tard Marc Chagall, dont le nom est déjà évoqué par le chanoine en 19485. La matière riche de l’œuvre et l’intensité des contours noirs trouvent d’ailleurs une similarité avec les peintures de Georges Rouault, à l’instar du tableau Christ (1937) conservé au Cleveland Museum of Art6.