Marc Chagall, Les Fables de La Fontaine à travers la céramique

10/10/2024 - 

Quitterie du Vigier

Marc CHAGALL, Fables de La Fontaine : Le Loup et l'Agneau, 1950, terre ocre rouge, décor aux oxydes sur engobes, gravé au couteau et à la pointe sèche, sous couverte, 19,5 x 22,5 cm, Collection particulière © Fabrice GOUSSET/ADAGP, Paris, 2024
Marc CHAGALL, Fables de La Fontaine : Le Renard et les Raisins , 1950, terre ocre, décor aux engobes et aux oxydes sur émail, gravé au couteau et à la pointe sèche, 22,7 x 19,7 x 2,5 cm, Collection particulière © Fabrice GOUSSET/ADAGP, Paris, 2024
Marc CHAGALL, Fables de La Fontaine : Les Deux Taureaux et une Grenouille, 1950, terre ocre rose, décor aux oxydes sur engobes, gravé au couteau et à la pointe sèche, sous couverte, 19,5 x 22,5 cm, Collection particulière © Fabrice GOUSSET/ADAGP, Paris, 2024

Après la Seconde Guerre mondiale, Marc Chagall, installé dans le Midi, expérimente de nouvelles techniques. Il se tourne vers la céramique en travaillant de concert avec des artisans et réalise en 1950 – sûrement en collaboration avec la Poterie des Remparts à Antibes1 – une série de douze plats figurant Les Fables de La Fontaine. Gaston Bachelard affirmait d’ailleurs à propos de l’artiste, dans un article de la revue Derriere le miroir : Chagall paru à l’occasion de l’exposition Marc Chagall : Céramiques, sculptures et Les Fables de La Fontaine à la galerie Maeght en 1952 : « Encore une fois, nous en avons la preuve, il était prédestiné à écrire des fables, à inscrire des fables dans la matière, à sculpter des êtres fabuleux dans la pierre2. » 

La rencontre de Marc Chagall avec Les Fables a lieu en 1926, lorsque le marchand d’art et éditeur Ambroise Vollard lui commande « des illustrations pour une nouvelle édition3 ». L’artiste crée une centaine de gouaches « éblouissantes4 » aux couleurs chatoyantes – en vue de la réalisation des eaux-fortes – comme l’œuvre Fables de La Fontaine : Le Loup et l'Agneau (1950). L’artiste et son éditeur font alors face à de vives critiques xénophobes et antisémites auxquelles Vollard répond dans le journal L’Intransigeant du 8 janvier 19295  et des années plus tard à travers un texte publié à titre posthume dans ce même numéro de Derrière le miroir : « J’édite les Fables de La Fontaine et je choisis Marc Chagall comme illustrateur6. »
Après la guerre, Tériade reprend le projet éditorial interrompu par la mort de Vollard7. Chagall, qui s’enracine dans la terre du Midi – notamment à travers l’art de la terre et du feu –, renoue alors avec ce sujet. L’artiste ne recherche pas une similarité plastique avec les gouaches des années 20 mais explore plutôt les qualités intrinsèques que lui offre ce nouveau matériau en incisant la terre – geste faisant écho aux gravures –, comme sur le plat Fables de La Fontaine : Les Deux Pigeons (1950), recouvert d’émail pour un rendu lumineux. Chagall simplifie les formes et les couleurs – aux dominantes tour à tour blanches, ocre, rouges ou bleues – et puise dans son propre bestiaire, formant une « communauté du vivant8 » selon l’expression de Gaston Bachelard. La forme rectangulaire des pièces – rappelant les plaques de cuivre servant aux estampes – épouse celle de la céramique culinaire produite dans la région (notamment dans la ville voisine de Vallauris) et arbore une évidente simplicité qui coïncide avec les débuts de Marc Chagall céramiste à l’atelier des Remparts. 
Tant par l’aspect lustré et décoratif des œuvres que par la représentation de fables, cette série pourrait par ailleurs faire penser à la faïence italienne renaissante. Les céramistes italiens de la majolique9 s’inspiraient de gravures pour réaliser des plats à usage ornemental10, telles des peintures émaillées. Les fables d’Ésope – traduites en Europe à la fin du xve siècle – furent ainsi sujet de pièces réalisées notamment à Deruta et Gubbio, à l’instar du plat Le Faucon et le Chapon (1500) aujourd’hui conservé au Ashmolean Museum à Oxford11 12

En créant cette série de « peintures-céramiques13 », Marc Chagall renouvelle son hommage aux Fables de La Fontaine – déjà représentées à travers gravures et gouaches –, faisant ainsi dialoguer les techniques14. En les façonnant dans la terre, en les ancrant dans la vie quotidienne, il confère à ce monument de la littérature une nouvelle lecture.