Cette sculpture en marbre, La Madone à l’âne ou Mère et enfant, est la transposition d’une maquette réalisée à l’aide de différents matériaux, à la manière d’un «collage sculpté1». Pour réaliser la maquette, l’artiste détourne et utilise notamment un isolateur en porcelaine et un galet décoré d’un cheval ou d’un âne en tant qu’éléments de composition. L’œuvre sculpté de Chagall compte plusieurs de ces objets façonnés par la nature et utilisés comme support d’un ornement. En revanche, seules deux maquettes, composées exclusivement ou en partie de ces galets, sont connues dans la production de l’artiste, qui pratique la sculpture depuis le début des années 1950.
Le marbre, matière ancestrale à la couleur claire et lumineuse, confère à l’œuvre une sobriété et un aspect plus solennel. La mère portant son enfant s’apparente à la Vierge à l’enfant mais aussi plus largement à la maternité, thèmes récurrents dans l’œuvre de l’artiste (Madone à l'enfant (1911), Maternité ou Le Bain (1914), Le Christ et la Vierge à l'enfant (1952)), comme en attestent la rondeur des volumes et la nudité de cette figure. La partie supérieure de la pièce, une forme triangulaire aux bords arrondis (reprise de la forme naturelle du galet peint de la maquette), pourrait suggérer un nimbe ou la protection divine de la houppa, le dais des cérémonies traditionnelles juives du mariage. Les différentes incisions dans ce matériau lisse dessinent dans la pierre les figures, animaux et motifs végétaux de la base, du fond et de la forme arrondie, rappelant ainsi l’art pariétal et donnant un aspect plus archaïque et primitiviste à cette sculpture. L’aspect formel de l’œuvre et le caractère composite de sa maquette évoquent la composition d’une sculpture représentant un dieu assis surmonté d’une coquille (Tii à la coquille ou Idole à la coquille, 1892-93) de Gauguin2, à qui Chagall rend hommage par une peinture en 1956 (Hommage à Gauguin (1956)).
L’ensemble révèle la diversité des sources d’inspiration de l’artiste qui puise, à l’instar d’autres artistes, tels que Picasso ou Miró, jusqu’aux origines de l’humanité et de l’art. Cette mise en scène de différents éléments iconographiques chagalliens, profanes ou religieux, dialoguant entre eux, s’inscrit dans la tradition de l’ex-voto3, conférant à cette pièce une dimension éminemment personnelle mais aussi universelle. Comme l’affirmait Jean Cassou en 1926 dans la revue Cahiers d’Art à propos de peintures pariétales préhistoriques : « Aux temps paléolithiques comme aux nôtres, l’art apporte la libération et une connaissance des choses directe et simple qu’il faut appeler la vérité4. »