Exposée une seule fois, en 1957 au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, l’Assiette persane se situe en dehors des grandes séries thématiques transposées en céramique par Marc Chagall au début des années 1950, comme les Fables de La Fontaine ou la Bible. Sa maîtrise de la technique céramique s’affirmant au fil du temps, Chagall continue à repousser les limites d’expérimentation aussi bien techniques qu’iconographiques. Réalisée en terre chamottée rouge, l’Assiette persane témoigne d’une synthèse entre le vocabulaire personnel de l’artiste, les motifs méditerranéens et la lecture libre de la poterie persane, connue pour sa virtuosité technique et décorative.
Le décor de l’Assiette persane, appliqué sur une forme traditionnelle de plat rond, atteste d’une riche culture visuelle de l’artiste associée à une liberté d’interprétation. Glaçures à irisation colorée, créée par la lumière reflétée par les particules métalliques en suspension, les émaux à lustre – apparus en Mésopotamie dès le IXe siècle avant de se diffuser en Perse et en Syrie – sont l’une des inventions les plus marquantes de la poterie islamique. Ainsi, l’usage des engobes rouge foncé laissés en réserve par Chagall évoquent, de façon mimétique, le lustre à base de cuivre largement utilisé par les potiers persans. Ce type de décor, au lustre cuivré et aux grandes figures, pourrait se rapprocher du « style monumental1 » persan, pratiqué au dernier quart du XIIe siècle. Chagall s’écarte de la caractéristique principale de cette tradition qui consiste à dessiner les personnages et les éléments de décor en réserve.
Irriguée par les techniques de la poterie égyptienne, notamment les frittes2, associées à l’influence des porcelaines chinoises massivement importées durant la période pré-mongole, la Perse affirme son goût pour la couleur. Les glaçures se voient teintées en bleu, turquoise, vert et violet – autant de couleurs retrouvées sur l’Assiette persane. Le marli de l’assiette accueille le bestiaire chagallien à même d’évoquer des animaux déployés en frise circulaire sur certaines pièces du style Kashan3.
L’appropriation des motifs orientaux par Marc Chagall s’inscrit dans un mouvement plus vaste entamé par les artistes et les artisans occidentaux depuis le XIXe siècle, et poursuivi au XXe siècle. Henri Matisse a évoqué son attirance pour l’Orient : « La révélation m’est toujours venue de l’Orient. À Munich, j’ai trouvé une nouvelle confirmation de mes recherches. Les miniatures persanes, par exemple, me montraient toute la possibilité de mes sensations. Par ses accessoires, cet art suggère un espace plus grand, un véritable espace plastique . » Les céramiques d’inspiration persane d’Édouard Cazaux, réalisées dans les années 1920-1930, reprennent, elles, les motifs animaliers et les éléments de décors traditionnels. L’Assiette persane de Chagall, qui est l’unique incursion explicite dans l’univers de la poterie orientale, est un hommage aux qualités intrinsèques de la pratique séculaire qu’est la céramique – combinaison raffinée d’influences mutuelles, de synthèses de styles et de partage des savoir-faire.