Deux bas-reliefs en marbre, regroupés sous le titre commun Les Femmes de la Bible, de formes et de dimensions identiques, constituent un diptyque initialement destiné à un projet architectural. En témoignent la forme spécifique d’un arc surbaissé, évoquant des stèles antiques, ainsi que deux dessins préparatoires au crayon et à l’encre de Chine. Les dessins, présentant le même motif iconographique et la même composition que les sculptures en marbre, révèlent cependant un changement d’intention. Les deux maquettes en forme d’arcs en plein cintre recueillent au milieu un espace vide réservé vraisemblablement à l’emplacement d’une fenêtre. Le projet initial restant non identifié à ce jour, Chagall avait transposé, comme souvent, les deux compositions dans un autre support.
Le choix du bas-relief n’est pas anodin pour l’artiste, car il évoque la bidimensionnalité de la peinture, et renvoie notamment à la technique de la gravure que Chagall avait expérimentée dès les années 1920. Une série de gravures illustrant les textes de la Bible, entamée en 1931 à l’instigation d’Ambroise Vollard et éditée en 1956 par Tériade, a été réalisée avec la technique de l’eau-forte, combinée souvent à la pointe sèche et à l’aquatinte. Les tirages issus des planches de cuivre gravées, monochromes, parfois rehaussés à la gouache, fascinent par la souplesse, la profondeur des volumes, la précision et la vibration du trait gravé. Cette technique de gravure et son aspect graphique font écho à la taille d’un bas-relief en marbre qui exhibe ici l’aspect « brut » du travail du marbrier. À la surface de cette pierre malléable et lumineuse, on peut percevoir les encoches du burin et le mouvement rythmique de la gradine laissés tels quels, sans polissage. Des gravures profondes, combinées à des frappes plus légères dessinant les silhouettes de personnages, créent des effets de vibration du paysage et de la végétation.
Les mentions au crayon apposées sur les dessins permettent d’identifier les quatre femmes, dont les vies sont contées dans l’Ancien Testament notamment. Sarah est visitée par un ange annonçant la naissance d’Isaac qui apparaît près du corps maternel. Rébecca, épouse d’Isaac et mère de Jacob, porte une gerbe dans ses bras. Rachel, sa belle-fille, l’épouse bien-aimée de Jacob, est allongée et semble flotter dans les airs, au-dessus d’un bâtiment à coupole évoquant l’architecture de son tombeau, site visité par Chagall en 1931 lors de son voyage en Palestine. Enfin, Léa, sœur aînée de Rachel et première épouse de Jacob, porte un vase empli d’eau. Une telle liberté d’interprétation iconographique des femmes de la Bible, dont certaines sont privées de leurs attributs habituels, témoigne sans doute d’une volonté de s’affranchir des codes et d’en exempter les personnages. Souvent cantonnées dans les textes religieux à leur rôle de progénitrices, les femmes matriarches sont considérées, dans les religions dites abrahamiques – le judaïsme, le christianisme et l’islam –, comme les premiers ancêtres « d’une multitude de nations ».